45
La voiture stoppa en bas des marches. Philippe aida Marianne à en descendre. Elle tremblait encore, pleurait toujours.
Franck ne laissa pas au lieutenant le soin de s’occuper d’elle ; il la lui arracha des bras, l’entraîna au pas de course vers la maison. Elle se retrouva dans le salon, jetée à même le sol. Elle rampa jusqu’au canapé, s’adossa contre l’assise. Franck la fixait avec des bouffées d’alcaloïde dans les yeux. Ses hommes le regardaient, lui. Un peu inquiets.
— Tu as joué et tu as perdu, Marianne...
— Je... pouvais pas... l’aban...
— Ta gueule ! hurla le commissaire.
Elle obtempéra. Consciente que le volcan pouvait se mettre à cracher de la lave à tout moment.
— Tu espérais quoi, hein Marianne ? gueula Franck. Dix bornes dehors et on t’arrêtait, pauvre cinglée !
Elle aurait bien voulu lui expliquer que, justement, elle désirait se rendre. Mais il ne semblait pas disposé à l’écouter. Il l’empoigna par le blouson, la souleva comme si elle ne pesait rien.
— Tu vas regretter ta pitoyable tentative ! Je te jure que tu vas le regretter...
Il leva le bras droit, elle ferma les yeux. Mais finalement, il parvint à retenir ce nouveau coup. La secoua tout de même comme s’il voulait la disloquer.
— Puisque tu t’entêtes à nous faire chier, je vais te donner de vraies raisons de nous haïr !
— Je recommencerai pas !
— Ça, c’est sûr ! Parce que désormais, tu seras attachée à ton lit vingt-quatre heures sur vingt-quatre... Tu devras me demander la permission pour aller pisser ! Et surtout, je vais aller récupérer ton mec en taule...
Elle devint transparente comme la pluie.
— Tu espérais peut-être le rejoindre ? Tu comptais le sortir de prison toi-même ? Il te manque ? Eh bien, je vais te le ramener ! Je vais le découper morceau par morceau et te les faire bouffer au petit-déj’ !
— Non ! Je t’en prie !
— Je le garderai en vie jusqu’à ce que tu aies fini ton boulot. Et si tu es bien sage, je te rendrai ce qui reste de lui. S’il est toujours vivant...
— Non, Franck !
— Non ? Je t’avais prévenue, nom de Dieu !
— Je recommencerai pas ! Pleura-t-elle. Ne lui faites pas de mal, par pitié !
Il la laissa retomber sur le sol. Essaya de retrouver un semblant de calme. Une multitude de rictus nerveux assaillaient son visage, faisaient cligner ses émeraudes. Il envoya une chaise à l’autre bout du salon. Ça le soulagea, apparemment.
— On la fout dans sa piaule ! dit-il enfin.
Laurent la releva sans délicatesse et l’accompagna jusqu’à l’escalier. Franck ouvrait la marche, Philippe suivait, aussi livide qu’un cadavre. Il préférait rester près de Marianne au cas où le patron péterait une nouvelle fois les plombs.
Le commissaire lui ôta son blouson, la jeta sur le matelas et menotta son poignet droit à un barreau du lit. Inerte, elle ne gémissait même plus.
— Voilà, comme ça, tu vas te tenir tranquille !
Elle allongea sa jambe gauche. Son genou avait doublé de volume, grosse enflure sous le jean. Franck monta sur la chaise, revissa l’ampoule. Il claqua la porte si fort qu’un cadre se détacha du mur et se pulvérisa sur le parquet.
Marianne ferma les yeux. Les larmes brûlèrent son visage. Ultime échec. Retour à la cage départ.
Elle avait laissé s’envoler sa dernière chance. Avait perdu. Ses cris résonnèrent jusqu’au rez-de-chaussée. Couvrirent même le bruit d’un train qui fonçait derrière les enceintes de la propriété.
Un étage plus bas, Laurent s’attela à préparer du café. Quoique le patron ne semblait pas avoir besoin d’un remontant. Il lui aurait plutôt fallu une camomille. Philippe était tombé sur une chaise, le regard un peu vide. La tête un peu trop pleine. Franck fumait une Marlboro, debout près de la fenêtre, hypnotisé par l’eau qui ruisselait sur les vitres.
Le silence était ponctué par les cris de la prisonnière qui descendaient en cascade jusqu’à leurs oreilles.
— Putain, je vais lui apprendre à se taire ! Ragea Franck en écrasant son mégot dans le cendrier.
— Reste-là, ordonna Laurent en appuyant sur le bouton de la cafetière. Ça suffit.
— Tu veux aller la consoler ? Riposta brutalement le commissaire.
— Non. Je dis que maintenant, ça suffit. C’est tout. Tu l’as suffisamment terrorisée...
— Je suis d’accord, osa Philippe. Je crois qu’elle a compris...
— Compris ? Cette fille ne comprend que les coups !
— Ben justement, elle vient d’en prendre plein la gueule, rappela calmement Laurent en grillant une clope. Si tu la tues, elle ne nous servira plus à rien...
Le visage de Franck se modifia lentement. Un peu comme un rocher sous la fonte des neiges. Flash-back mental sur l’heure qu’il venait de vivre. Ce n’était pas la première fois qu’il frappait quelqu’un. Mais la première fois qu’il s’acharnait ainsi. Sur une femme, en plus. La honte ternit un peu ses yeux.
— Elle aurait pu nous conduire au désastre... Si elle avait été arrêtée, elle aurait pu nous balancer.
— Elle ne sait rien, souligna Laurent. Même pas qui elle doit buter.
— Tu... tu vas vraiment aller chercher ce type ? demanda Philippe avec angoisse.
— Je crois que ce ne sera pas nécessaire. Maïs c’est la menace qui fonctionne le mieux, on dirait...
Un long silence s’incrusta dans la cuisine. Ils n’entendaient plus Marianne crier. Philippe se leva.
— Je vais lui apporter de l’eau... Il faudrait la soigner aussi... Vous avez vu son dos ?
— Tu restes ici ! Rugit le commissaire. On verra plus tard... Je remonterai quand je serai calmé...
— Mais je peux y aller, moi !
Franck le fusilla du regard. Le lieutenant retomba sur sa chaise. Laurent remplit les tasses.
Allez, les mecs ! Détendez-vous un peu... Je sais pas vous, mais moi, j’ai envie d’aller me pieuter, maintenant ! On a bien mérité de dormir un peu, non ?
— Oui, acquiesça Franck. On a fait du bon boulot... On a sauvé la situation.
***
Ses hommes récupéraient d’une nuit blanche. Mais lui n’arrivait pas à dormir. Comme toujours. Il avait pourtant croisé les volets. Il y avait pourtant la mélodie de la pluie pour le bercer. Il y avait pourtant trop d’heures qu’il n’avait pas dormi.
Elle était pourtant à nouveau sous contrôle. Il avait pourtant réussi à la retrouver à temps.
Toutes les conditions pour trouver le repos. Pourtant, il ne dormait pas.
Il enfila sa chemise, passa dans la salle de bains. La colère aurait dû retomber. Avec ces quelques heures dans l’obscurité. Avec le défoulement qu’il s’était offert aux frais de sa prisonnière. Mais elle était encore là, bien vivante. Là, au fond de lui, prête à jaillir.
Il devait aller la voir, affronter son visage meurtri par ses propres coups. Affronter ce qu’il avait commis. Ce qu’elle l’avait poussé à commettre. Mais il avait peur. De recommencer. Si elle le provoquait. Pourtant, il se dirigea vers la chambre du fond. Comme attiré par le mal.
Pourtant, il n’était pas mauvais.
Marianne était tombée par terre à force de convulsions. Plus la force de se hisser jusqu’au matelas. Chaque respiration était une souffrance. Parce qu’elle avait échoué. Parce que Daniel était en danger.
Parce qu’elle avait le corps meurtri de coups. Parce qu’elle avait faim et surtout soif. Parce qu’elle avait envie de pisser. Qu’elle n’allait pas tarder à se faire dessus. Parce qu’elle avait la nausée. Et la tête comme une citerne de gaz prête à exploser.
Parce qu’elle allait être obligée de tuer.
Parce qu’elle était en manque de nicotine.
Et d’héroïne. Et d’espoir.
Parce que sa vie se résumait à des maux sans fin. Parce qu’elle était Marianne. Qu’elle n’avait toujours connu que le malheur, l’horreur. La noirceur d’une vie sordide.
La pluie avait décidé de s’éterniser. Battant inlassablement le toit de la maison, les vitres de la cellule. Un deuil de l’été, une couleur de circonstance pour l’accompagner dans les ténèbres.
Si seulement je les avais pas tués... Si seulement je n’étais pas tombée amoureuse d’un maton en prison... Si seulement j’avais demandé au camionneur de me déposer direct devant la gendarmerie...
Si seulement j’étais différente... Si seulement je n’étais pas moi...
Si seulement je n’avais jamais existé.
Des pas résonnèrent dans le couloir après des heures de silence absolu. La peur révulsa son estomac. La clef tourna dans la serrure. Les yeux de serpent brillèrent dans le gris ambiant. Ceux de Marianne s’arrondirent d’effroi. Il s’était offert le luxe de venir seul, pour lui prouver qu’elle ne représentait même plus un danger. Plus rien. Il referma la porte, elle se recroquevilla contre le lit.
Il s’avança. S’accroupit pour lui injecter une dose de vert dans les pupilles.
— Alors, Marianne ? Ça te plaît d’être enchaînée à un lit ?
Devait-elle répondre ? Se taire ? Dans le doute, elle ne remua même pas les lèvres. Son sang ne circulait plus. Coup de gel dans les canalisations.
— Ça te plaît, Marianne ?
Il souhaitait donc une réponse.
— Non, murmura-t-elle.
— Non ? Tu n’as ce que tu mérites, tu es d’accord ?
— Oui, commissaire...
Il souriait. Fier de lui. Content qu’elle fasse dans son froc. Qu’elle baisse enfin les yeux. Que le vert l’emporte sur le noir.
Il contempla sa figure. Encore plus tuméfiée qu’il ne l’avait imaginée. Nouveaux hématomes, résultats des deux coups de poing qu’il lui avait assénés. La verrait-il un jour avec un visage intact ? Avec autre chose que de la souffrance au fond des yeux ?
Il s’appuya à la fenêtre, attendant sans doute qu’elle réclame. Soif, faim, pipi. Qu’elle s’abaisse à quémander. À l’écoute d’une éventuelle supplique. Mais elle n’osa pas parler. Il la nargua en allumant une cigarette. Elle sentait qu’il la fixait mais elle contemplait ses chaussures pleines de terre.
Éviter de nouveaux coups. Ou alors, le provoquer pour qu’il me tue. Non, au bout de cet enfer, il y a peut-être la liberté. Et je dois rester en vie pour Daniel.
Il s’approcha à nouveau, elle se ratatina au maximum. Il libéra son poignet.
— Je t’accorde un quart d’heure.
Elle s’aida du lit pour se remettre debout. Gestes lents, saccadés. Elle n’était jamais très loin de la syncope. Une fois debout, elle s’efforça de ne pas croiser son regard. Sautilla sur un pied jusqu’à l’armoire, y récupéra des vêtements propres. Elle poussa la porte de la salle de bains, voulut naturellement la refermer. Mais il l’en empêcha, calé dans l’encadrement. Elle osa enfin le fixer.
— Je voudrais rester seule...
— Hors de question.
— Quoi ? Mais je vais pas pisser devant vous !
— Ça ne me dérange pas.
— Moi si... Et puis quoi ? Je vais pas m’enfuir par les chiottes, non ?
— Tu es capable de tout. Maintenant que je le sais, tu ne remueras plus un cil sans être observée... C’est toi qui l’as voulu, ne l’oublie pas... Et magne-toi. Tu crois que je vais passer ma soirée ici ?
De nouveau envie de le pulvériser. Il lui manquait juste la force. Et le courage.
— Vous pourriez au moins vous retourner...
— Pour que tu m’attaques dans le dos ? Merci bien ! Je ne bougerai pas d’ici. Enfonce-toi ça dans le crâne.
Elle songea à retourner s’asseoir au pied du lit mais sa vessie ne tiendrait pas plus de dix minutes. Et puis il fallait bien se laver. Enlever toute cette souillure qui alourdissait son corps. Elle s’assit par terre en se laissant glisser le long du mur. Commença par virer ses chaussures boueuses. Elle calcula que son tee-shirt était un peu long, elle enleva son jean. Genou difforme.
Et l’autre était toujours là, à se régaler du strip-tease pour pas un rond.
Elle s’aspergea le visage, but une grande quantité d’eau. Munie d’un drap de bain, elle grimpa dans la baignoire avant de tirer le rideau. Là, elle retira le reste des fringues, retint un cri quand le tee-shirt se décolla de la plaie. Puis elle balança ses vêtements sales par-dessus la tringle.
Tant pis, elle se soulagerait dans la baignoire. Pas d’autre moyen. Elle s’octroya une douche chaude en essayant d’oublier le monstre qui veillait derrière. Avec la peur qu’il se ramène.
Il se manifesta au bout de dix minutes. Elle sursauta en entendant sa voix.
— Tu comptes y passer la nuit ? Faut que je vienne te chercher ?
Elle ferma le robinet, s’enroula dans le drap de bain, avec un nœud solide pour qu’il ne tombe pas au moment inopportun. Puis elle tira le rideau et distingua le commissaire au travers de la buée. Toujours à la même place. Elle sortit de la baignoire avec un mouvement précautionneux pour sa jambe blessée. Restait encore à se vêtir sans lui montrer un seul centimètre carré de chair. Pas une mince affaire. Elle décela un petit sourire au coin des lèvres de Franck.
— Pauvre con ! murmura-t-elle.
— Qu’est-ce que t’as dit ?
— Rien...
Elle enfila une culotte sous la serviette. Le jean par-dessus. Ni vu ni connu. Le tout sur une jambe. Acrobate émérite, Marianne. Elle renonça à mettre un soutien-gorge. Trop périlleux. Enfila directement la chemise sur la serviette. Avant de l’enlever en tirant dessus. Il n’avait rien eu à se mettre sous la dent ! Elle était plutôt satisfaite de sa prestation. Elle se donna un coup de peigne, se brossa les dents.
— T’as fini ? demanda le commissaire comme s’il attendait son tour. Je voudrais voir la blessure que tu as dans le dos.
— Pas la peine...
M’empoigna par le bras, la conduisit jusqu’à la chaise devant le bureau.
— Attends-là, je vais chercher de quoi te soigner...
M’enferma dans la chambre, elle s’offrit une cigarette. C’était le dernier paquet de Camel. Dur de lui demander des clopes, maintenant... Il semblait calmé. Pourtant, elle n’était pas rassurée. Tant de colère brillait dans ses yeux, bouillait dans ses veines. Au moindre geste, à la moindre parole, elle pouvait déclencher une nouvelle avalanche. Elle fuma devant la fenêtre ouverte, tendit le bras pour recevoir un peu de ce don du ciel, entre deux barreaux. Comme en taule. Mais elle était toujours en taule, de toute façon. Elle pensait à Daniel, en continu. C’était devenu une obsession. Il lui manquait comme la pluie manque au désert. Elle aurait aimé être dans ses bras. Et nulle part ailleurs.
Le commissaire se pointa à nouveau, armé d’une trousse de secours. Elle jeta son mégot dans le jardin. Un arbre à Camel pousserait en bas, au printemps prochain.
— Vire ta chemise, ordonna-t-il.
Elle déboutonna le haut et se retourna avant de faire glisser la chemise jusqu’au milieu de son dos. Il nettoya la plaie avec un coton et de l’alcool.
— Aïe !
— Comment tu t’es fait ça ?
— Quand vous m’avez poussée contre l’arbre.
— C’est à cause de moi, alors...
Elle devinait son sourire. Il insistait sur le désinfectant. Y allait franco. On aurait dit qu’il récurait le sol. Elle crispait les mâchoires, s’accrochait au dossier de la chaise. Il posa un pansement sur la blessure. Elle remonta la chemise sur ses épaules, la reboutonna en vitesse.
— Le genou, maintenant.
— C’est bon... Ça passera...
— Il faut que tu sois capable de marcher... Montre !
Elle préféra ne pas trop le contrarier et enleva son jean. Elle s’assit sur la chaise, il s’agenouilla devant elle. Juste à la bonne hauteur pour recevoir un coup de pied dans la tête. Un de ceux dont on ne revient pas. Pourtant, la peur la ligotait. Une peur idiote.
Le goût du métal dans la bouche. Friandise parfum 357.
— C’est une vieille entorse, expliqua-t-elle.
Il prit une ampoule de Percutalgine, elle la lui arracha des mains.
— je vais le faire...
Elle cassa la fine enveloppe de verre, en vida le contenu sur sa rotule traîtresse. Elle massa en effleurant à peine la peau. Puis il lui banda le genou avec les gestes d’un apprenti-infirmier qui raterait son diplôme à coup sûr.
— Trop serré ! indiqua-t-elle avec une grimace.
Il recommença, elle s’étonna de sa patience.
— Merci.
Merci ? Mais je deviens dingue ! Je remercie un type qui m’a passée à tabac ce matin ! Qui a menacé de me faire exploser la cervelle ! Qui a menacé de massacrer l’homme que j’aime !
Elle attrapa son jean, parvint à se rhabiller en jouant aux équilibristes surdouées. Elle récupéra son paquet de cigarettes et se dirigea vers le lit. Mais une serre puissante se referma sur son bras. Elle avala ses amygdales, repartit en arrière, aspirée par les enfers. Se retrouva en face des yeux de cobra. Il ne parlait pas, la fixait comme s’il allait ouvrir une gueule béante avec trois rangées de dents. Pour la dévorer.
Il m’a laissée prendre une douche, a soigné mes blessures. C’est pas pour recommencer à me frapper. Absurde.
Elle fouillait son regard. Se posant un milliard de questions en trente secondes. Envisageant toutes les possibilités. Quand je te serai passé dessus...
Il y avait comme un soupçon de sourire sur ses lèvres. Juste un soupçon.
— J’ai flippé toute la nuit à cause de ta petite promenade dans les bois...
Il attrapa son visage et le colla contre le sien. Elle aplatit son paquet de cigarettes dans sa main droite tandis que son cœur faisait une chute abyssale.
— Je t’ai donné ta chance et c’est comme ça que tu me remercies ?
Cent-cinquante pulsations seconde. Il y avait en cet homme quelque chose d’effrayant. Une sorte de sadisme bien enfoui qu’il valait mieux éviter de réveiller. Un monde d’horreurs qui sommeillait quelque part et qu’elle devinait, là, juste contre sa peau.
— Je ne recommencerai pas, balbutia-t-elle.
— Je ne t’en laisserai pas l’occasion... Mais si tu lèves encore la main sur moi ou sur un de mes hommes, je te garantis que tu vas rêver de moi toutes les nuits jusqu’à ta mort... Et si jamais tu parvenais encore à nous échapper, ce qui m’étonnerait beaucoup, il m’arriverait de gros ennuis... Tu vois ce que je veux dire ? Et s’il m’arrive de gros ennuis, je serai très en colère. Vraiment furieux... Bien pire que ce matin... Alors je remuerai ciel et terre, mais je finirai par te retrouver... Et là... Je te ferai payer, très cher...
Il accentua la pression. Un étau lui broya le visage.
— Mais en attendant de te retrouver, je me ferai la main sur ton mec... Tu comprends ce que je dis, Marianne ?
— Oui...
— N’oublie jamais : si tu ne te transformes pas en gentille fille, c’est lui qui va prendre... Et toi ensuite... C’est clair, Marianne ?
Elle se mit à pleurer doucement. Elle aurait pu se dégager bien que son équilibre soit précaire. Mais à peine si elle osait répondre.
— Oui... Je ferai plus rien contre vous.
— Bien...
Il la lâcha enfin, jouissant de la terreur qu’il avait réussi à lui injecter à haute dose dans les veines.
Elle recula d’un pas, heurta le montant du lit, bascula en arrière. Chuta sans un cri. Elle se releva en se cramponnant au pieu, s’éloigna doucement de cette emprise mentale. Ce qu’elle venait d’entendre n’était rien à côté de ce qu’elle avait entrevu au fond des yeux de jade. Un monstre. Bien pire qu’elle. Bien pire que ceux qu’elle avait croisés au cours de son existence.
Il la dévisageait toujours. Avec les mêmes yeux de reptile.
— Tu vois, t’aurais pas dû me rater, hier. Me tuer quand tu en avais l’occasion...
Il la narguait encore. La provoquait, carrément. Elle sentit la colère surgir au beau milieu de la peur. Il avait raison, en fait.
— Ouais ! J’aurais dû !
Une claque retentissante surgit de la pénombre. Ses dents s’entrechoquèrent, son cerveau trembla.
— Tu joues avec mes nerfs, Marianne ! Et j’ai les nerfs fragiles !
— J’ai jamais voulu vous tuer, putain... Je voulais juste l’aider !
— L’aider ? Mais qu’est-ce que tu me chantes, Marianne ?
— Je voulais me rendre aux gendarmes !
Il eut un moment de flottement.
— J’aime pas qu’on se foute de ma gueule ! hurla-t-il soudain.
— Je vous jure ! Je voulais me rendre ! Pour qu’ils le laissent sortir de prison... Pour leur dire que c’était pas lui qui m’avait aidée !
Il recula jusqu’au lit, s’y laissa tomber. Tandis qu’elle s’effondrait par terre. En pleine crise. Il resta un moment silencieux. Les yeux posés sur elle.
— Tu voulais vraiment te rendre ? Tu serais retournée en taule pour ce mec ?
Un oui émergea au milieu des cris de détresse. Elle était sincère. Pas en état de mentir. Elle s’était tournée vers le mur pour cacher son visage. Une boule de nerfs dont il ne voyait que les épaules et le dos, violemment secoués par des séismes à répétition. Tout juste si elle arrivait encore à respirer.
— Tu es cinglée, murmura-t-il. Complètement cinglée... Ça ne se calmait pas. Ça semblait même empirer. Étouffée par ses propres larmes, brisée par les convulsions en série.
— Ne lui faites pas de mal ! Ne lui faites pas de mal... Elle reprenait son souffle entre chaque mot. Continua à chercher la pitié de son ennemi.
— Ne lui faites pas de mal... Il n’y est pour rien ! Je ferai tout ce que vous voudrez...
Elle aurait vendu ses parents si elle en avait eu.
Il l’escorta jusqu’au lit. Elle cessa enfin de sangloter. Mais pas de pleurer. Ça coulait doucement, sans heurts.
— Tu n’as pas à avoir peur pour lui si tu fais ce que je te demande.
Elle lui renvoya une dose de désespoir en pleine figure.
— Mais il restera quand même en prison, parce que j’ai échoué...
— Il finira bien par sortir.
— Vous pouvez pas savoir ce que c’est... La taule... Même quelques mois, quelques semaines... Quelques jours... Il ne s’en remettra jamais.